mardi 27 août 2013

Blocus assisté: réaction aux propositions commerciales

En réaction à un article paru dans La Province (14 août 2013) (texte complet de l'interview par Vincent Piccillo) à propos des blocus assistés et payants "qu'offre" le privé, en été, aux étudiants qui doivent présenter une seconde session.


Conseiller du recteur pour la pédagogie à l’UMONS, Marc Demeuse, 47 ans, ne cache pas sa perplexité à l’égard de telles initiatives censées réussir en quelques semaines là où l’université a échoué en une année scolaire.
Le développement de cette offre est inquiétant. Si, en 10 ans, les universités ont perdu plus de 15% de moyens par étudiant (contrairement aux autre niveaux d'enseignement), elles doivent faire face à de nouvelles difficultés liées notamment à l'élargissement de leur public. La tradition universitaire n’a jamais été d’organiser des cours pendant l’été, mais à côté d'un véritable marché de la remédiation, avec une forte volonté de lucre, les universités et l'université de Mons en particulier développent depuis plusieurs années des initiatives dans ce domaine, pour des prix sans rapport avec les 840 euros demandés par le privé, soit le coût d’une année de minerval ! Cette offre privée pose de grosses questions quant à la démocratisation de l’enseignement. À Mons, la part d’étudiants boursiers est importante. On peut dès lors s’interroger sur les injustices que cela pourrait induire parmi les étudiants, avec des gens qui deviendraient brillants parce qu’ils ont les moyens de se payer ces cours alors qu’ils avaient des résultats médiocres pendant l’année alors que d'autres, incapables de payer une telle somme, sont condamnés à se débrouiller.
À condition que ces cours soient réellement efficients… À ma connaissance, poursuit le professeur Demeuse, on n’a aucune idée de leur efficacité. Je n’ai lu aucun article émanant d’un organisme neutre qui me permettrait de croire que ces cours améliorent le taux de réussite. L’étudiant n’a aucune garantie que les encadrants qui s’occuperont de lui sont au courant des attentes des professeurs d’université (pour des raisons déontologiques évidentes les membres du personnel des universités ne peuvent pas participer à des remédiations payantes pour leurs propres étudiants).
Des alternatives nettement plus démocratiques s’organisent à l’UMONS. La faculté des sciences a, par exemple, mis en place pour nos étudiants des cours de remédiation. Ceux-ci ont lieu durant deux semaines, en juillet et août. Les boursiers ne paient rien et les non boursiers une dizaine d’euros par jour (pour les sandwiches et les boissons!). Et notre optique est de donner à des étudiants qui ont brillamment réussi leur année l’occasion de mettre à profit leur talent en étant payés comme des jobistes. Ils participent ainsi à une solidarité renforcée entre étudiants, sous la supervision du personnel de l'université.



lundi 26 août 2013

Billet d'humeur (paru partiellement dans "Le Vif/L'Express du 23 au 29 août 2013")

Ce texte est la version intégrale du texte paru dans Le Vif/L'Express du 23 au 29 août en page 38, en réaction à la sortie de l'ouvrage de F. Andriat intitulé "Les profs au feu et l'école au milieu" (La Renaissance du Livre).


Cher Frank Andriat,

Que de chemin (malheureusement) parcouru depuis « Vocation prof » qui m’avait immédiatement donné l’envie de mieux vous connaître. Cet ouvrage, une pépite pour celui qui est responsable de l’agrégation dans sa faculté, constitue un très salutaire contrepoint aux « ouvrages savants » qui appuient aussi la formation des maîtres. Si tout ne peut se mettre en équation ou se prévoir en 300 heures de formation, ce qui est bien peu pour un métier aussi exigeant, cette formation ne peut faire l’économie des recherches et des publications qui s’en font l’écho. Pas plus sans doute qu’une formation de professeur de français ne peut faire l’économie des travaux savants des philologues dont il faudra pourtant rapidement s’affranchir en classe, comme vous le soulignez fort bien.

Il ne s’agit pas pour moi de plaider pour une approche technocratique de l’enseignement où le maître serait un simple exécutant, mais de regretter qu’à l’humanisme lumineux de votre précédent ouvrage vous ayez substitué la rage, l’insulte et les noms d’oiseaux dans votre nouvel opus. « Pourquoi tant de haine ?», serais-je tenté de dire, malgré le côté cliché de l’expression… et aussi peu d’arguments ? Certes, votre métier est de plus en plus difficile et les conditions de son exercice sont devenues particulièrement pénibles. Certes aussi pouvez-vous avoir l’impression d’être dépossédé de votre expertise. Mais, même vos jeunes collègues ne trouvent plus grâce à vos yeux. Ils apparaissent comme de quasi illettrés sous votre plume. Alors, que dire des chercheurs en éducation ! Si vous leur reprochez, et pas qu’une fois, d’être les fossoyeurs de votre profession ou au moins leurs complices, vous ne leur accordez même pas le bénéfice d’un mauvais procès. Ils sont disqualifiés par avance car ils ne savent pas, par définition, la votre, ce qu’est l’Ecole qui n’existe d’ailleurs pas... mais chaque école.

Notre métier de chercheur en éducation[1] mais nous sommes aussi, et avant tout, des enseignants (universitaires)[2], ce n’est pas de dire à nos collègues de l’enseignement obligatoire ce qu’ils doivent faire au jour le jour, pas plus que le ministre ne doit ni ne peut le faire, mais l’école est un bien commun, destiné à former les adultes de demain et financé par tous. A ce titre, elle n’appartient donc pas aux seuls enseignants bricoleurs, même de génie.

Je vous fais donc, à mon tour, un mauvais procès : je suis certain que bien peu d’enseignants, dont vous même, ont vécu ne serait-ce qu’une seule journée au sein d’un service d’enseignement et de recherche en sciences de l’éducation. Contrairement à votre ouvrage qui n’offre que peu de perspective en dehors d’un « laissez-nous faire tranquille et ne vous occupez pas de l’école », je profite, cher Frank Andriat, de cet espace pour corriger cette lacune culturelle et je vous invite très sérieusement à passer une journée, ou plus, dans notre « tour d’ivoire » (sans air conditionné, ce qui n’est pas sans inconvénient au moment où j’écris ces lignes !). Vous pourrez ainsi continuer à détester ce que nous faisons - plus que ce que nous sommes (je l’espère) - en substituant, cette fois, les arguments  aux noms d’oiseaux qui peuvent aussi blesser des extraterrestres, sans pour autant changer la courses des planètes.

Marc Demeuse
Professeur en Sciences de l’Education
Université de Mons



[1] Deux textes permettent, je pense, de mieux comprendre ce que nous faisons, entre autres choses. Vous y trouverez quelques arguments pour mieux nous détester :
Aubert-Lotarski, A., Demeuse, M., Derobertmasure, A., Friant, N. (2007). Conseiller le politique: des évaluations commanditées à la prospective en éducation, Les Dossiers des Sciences de l'Education, 18, 121-130.
Demeuse, M., Soetewey,S. (2013). Recherche en éducation et évolution du système éducatif belge francophone, in J.F. Marcel et H. Savy. Evaluons, évoluons. L'enseignement agricole en action. Dijon : Educagri éditions.

[2] Pour vous convaincre, peut-être, que les extraterrestres vivent sur la même planète que vous (mais si je comprends bien, c’est précisément ce que vous regrettez), vous lirez peut-être le petit texte suivant. Il présente quelques tentatives pédagogiques dans mon contexte universitaire: Demeuse, M., Derobertmasure, A. (2012). Et si Eurydice visitait Poudlard... ou comment un petit détour par le féérique permet de mieux comprendre le réel, Caractères, 43, pp. 36-47. http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/77/12/45/PDF/Et_si_Eurydice_visitait_Poudlard_2.pdf