dimanche 20 octobre 2013

"Evaluer les politiques d'éducation prioritaire: provocation indécente ou nécessité?" Conférence de Marc Demeuse à la 13e Université d'automne du SNUIPP

Ce dimanche 20 octobre, Marc Demeuse a présenté une conférence intitulée "Evaluer les politiques d'éducation prioritaire: provocation indécente ou nécessité?" dans le cadre de la 13e Université d'Automne du Syndicat unitaire des Instituteurs et des Professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP-FSU) qui s'est déroulée du 18 au 20 octobre à Port Leucate (France)

Le site de l'Université d'Automne: http://universite-automne.snuipp.fr/ 
L'interview par Ginette Bret dans Fenêtre sur cours... (avec la vidéo): http://www.snuipp.fr/Marc-DEMEUSE-Evaluer-les
Compte-rendu dans le Café pédagogique: http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/11/04112013Article635191344720202909.aspx

Interview de Marc Demeuse par Ginette BRET (SNUIPP), parue dans "Fenêtres sur cours":

Evaluer l'éducation prioritaire : provocation indécente ou nécessité ?

Marc Demeuse, psychologue et statisticien, est professeur à la faculté de l’Université de Mons (Belgique) où il dirige l’institut d’Administration scolaire. Il a coordonnée des équipes de recherche inter-universitaires chargées de contribuer à la mise en place des politiques d’éducation prioritaire en Belgique et a assuré, avec Daniel Frandji, David Greger et Jean-Yves Rochex, la coordination d’un projet européen impliquant une douzaine d’équipes de recherche dans ce domaine (EuroPEP).

L'évaluation des politiques d'éducation prioritaire est un moyen puissant de mettre en évidence certains hypocrisies ou incohérences des mesures préconisées. Marc Demeuse le prouve à travers quelques exemples.

Quels types d'hypocrisies l'évaluation des politiques d'éducation prioritaire permet-elle de dévoiler?

L'idée centrale des politiques d'éducation prioritaire et donc des ZEP, en France au moins, s’est construite autour de l’idée de compensation, « donner plus à ceux qui ont moins », pour reprendre le slogan des années 1980. Mais est-ce bien vrai ? Donne-t-on ainsi vraiment plus à ceux qui ont moins ? Et c'est quoi « avoir moins » ou « donner plus » ? L’idée même de compensation induit celle de déficit, de manque, voire de handicap… qui rend plus difficile la remise en cause du fonctionnement habituel de l’Ecole. Pourtant, en 1981, à la création des ZEP, celles-ci étaient destinées à constituer des laboratoires du changement, de l'innovation. Cette idée a très vite été oubliée. Alors même que la question du « donne-t-on vraiment plus… » ne reçoit pas une réponse très convaincante et positive, comme le montre par exemple les travaux de Benabou et ses collègues, l’approche compensatoire est, elle aussi, très questionnable. C’est au départ de telles questions que s’est mis en place le projet EuoPEP, piloté par l’INRP, à l’époque. L’objectif est de sortir des évidences et des habitudes en « ouvrant les fenêtres » et en regardant ce qui se passe dans d’autres systèmes éducatifs, à la fois en termes d’objectifs, de ciblage de certaines populations -y compris en questionnant cette idée de ciblage-, d’actions et d’évaluation des politiques. L’idée n’est pas d’imiter d’autres pays, mais de mieux comprendre notre propre fonctionnement en ne considérant pas que ce que nous mettons en place est la seule ou la meilleure solution. Alors qu’il est périodiquement question de changement, de refondation, de relance… ce détour n’est sans doute pas inutile.

Cette évaluation permet aussi de pointer les incohérences du système. Lesquelles ?

Depuis des années, les politiques d'éducation prioritaire ont connu de nombreux changements, mais l’appellation ZEP reste, sans véritable évaluation d’ensemble. On garde, en apparence, le même emballage, qui arrange bien, car on continue à s’occuper des plus défavorisés... mais on infléchit la politique sans vraiment le dire des plus démunis… pour autant qu’ils le méritent... Alors qu’en Grande-Bretagne, on a abandonné les ZEP pour des politiques plus sectorielles, ciblant chacune des publics spécifiques avec un objectif particulier -par exemple, préscolarisation des enfants des familles précarisées-, en France, on semble continuer le même programme qui pourtant a été complètement dénaturé.
 

Quelles sont (ou seraient) les conditions nécessaires pour une évaluation utile de ces politiques d'éducation prioritaire ?


L'évaluation des politiques publiques est une nécessité, mais elle doit identifier clairement ce qui doit être évalué et mettre à plat à la fois les objectifs de ces politiques, les moyens effectivement mis en œuvre et les résultats obtenus. Sinon, quel intérêt pour le système ? Quand on évalue, on ne connaît pas les résultats à l’avance et on doit donc accepter de prendre des risques, ce qui semble particulièrement difficile pour le politique. La difficulté en France, c'est aussi l'alternance du pouvoir politique, avec d'incessantes situations de conflit. Une évaluation réussie, ce n'est pas juger de la qualité, ou pas, de l'action du gouvernement précédent, ni s'auto-proclamer le meilleur. Pour évaluer, il faut être libre de reconnaître ses erreurs. Cela n’implique pas de modifier ses principes comme une girouette, mais d’admettre qu’entre ceux-ci et leur mise en œuvre concrète, il existe plusieurs voies, qu’il est nécessaire d’expérimenter sans généraliser immédiatement. Malheureusement, l’expérimentation prend du temps et elle doit être… évaluée. La tendance actuelle, c'est « on évalue immédiatement une action qui vient juste d’être initiée et après, c'est pour tout le monde » ! Il ne suffit pas de légiférer pour que les choses se mettent en place sans délai et de la manière attendue…
 

Evaluer… bon pour le système, mais aussi bon pour la recherche

Evaluer les politiques publiques, leur mise en œuvre, leur efficacité… cela permet de corriger le tir, mais aussi d’améliorer les pratiques d’évaluation et la recherche en éducation. Marc Demeuse en donne un exemple aux Etats-Unis où le financement des politiques d’éducation prioritaire est accru lorsque les solutions adoptées par les établissements scolaires ont fait leur preuve, scientifiquement. Ce n’est cependant pas chose aisée d’apporter la preuve de l’efficacité de ce genre d’actions. Cela amène à devoir préciser ce qui est réellement mis en œuvre, mais aussi à développer des méthodes spécifiques permettant de cerner ce qui relève effectivement de ces pratiques et ce qui n’en relève pas.
Dans ce domaine, les travaux de Robert Slavin sont très éclairants. Il est à la fois un excellent spécialiste des apprentissages, le responsable d’un programme baptisé « Success for All » qui propose aux écoles bénéficiaires des politiques d’éducation prioritaire un programme complet d’intervention, y compris en termes de formation des enseignants, et un expert en matière d’évaluation des programmes. Il n’est pas le seul et c’est par les échanges, parfois vifs, entre ce types de spécialistes que beaucoup de progrès peuvent être faits, à la fois en matière d’outils pédagogiques, de connaissances scientifiques dans le domaine des apprentissages et de l’évaluation des programmes. On trouve encore peu de traces de ces travaux en langue française. Expérimenter de manière contrôlée semble de ce côté-ci de l’océan un problème éthique grave alors que chacun, dans nos classes, nous expérimentons de manière sauvage tout les jours, sans grand contrôle ni publication de nos résultats.