Cher Frank Andriat,
Que de chemin (malheureusement) parcouru depuis
« Vocation prof » qui m’avait immédiatement donné l’envie de mieux
vous connaître. Cet ouvrage, une pépite pour celui qui est responsable de
l’agrégation dans sa faculté, constitue un très salutaire contrepoint aux
« ouvrages savants » qui appuient aussi la formation des maîtres. Si
tout ne peut se mettre en équation ou se prévoir en 300 heures de formation, ce
qui est bien peu pour un métier aussi exigeant, cette formation ne peut faire l’économie
des recherches et des publications qui s’en font l’écho. Pas plus sans doute
qu’une formation de professeur de français ne peut faire l’économie des travaux
savants des philologues dont il faudra pourtant rapidement s’affranchir en
classe, comme vous le soulignez fort bien.
Il ne s’agit pas pour moi de plaider pour une approche
technocratique de l’enseignement où le maître serait un simple exécutant, mais
de regretter qu’à l’humanisme lumineux de votre précédent ouvrage vous ayez
substitué la rage, l’insulte et les noms d’oiseaux dans votre nouvel opus. « Pourquoi
tant de haine ?», serais-je tenté de dire, malgré le côté cliché de
l’expression… et aussi peu d’arguments ? Certes, votre métier est de plus
en plus difficile et les conditions de son exercice sont devenues
particulièrement pénibles. Certes aussi pouvez-vous avoir l’impression d’être
dépossédé de votre expertise. Mais, même vos jeunes collègues ne trouvent plus
grâce à vos yeux. Ils apparaissent comme de quasi illettrés sous votre plume.
Alors, que dire des chercheurs en éducation ! Si vous leur reprochez, et
pas qu’une fois, d’être les fossoyeurs de votre profession ou au moins leurs
complices, vous ne leur accordez même pas le bénéfice d’un mauvais procès. Ils
sont disqualifiés par avance car ils ne savent pas, par définition, la votre,
ce qu’est l’Ecole qui n’existe d’ailleurs pas... mais chaque école.
Notre métier de chercheur en éducation[1]
mais nous sommes aussi, et avant tout, des enseignants (universitaires)[2],
ce n’est pas de dire à nos collègues de l’enseignement obligatoire ce qu’ils
doivent faire au jour le jour, pas plus que le ministre ne doit ni ne peut le
faire, mais l’école est un bien commun, destiné à former les adultes de demain
et financé par tous. A ce titre, elle n’appartient donc pas aux seuls
enseignants bricoleurs, même de génie.
Je vous fais donc, à mon tour, un mauvais procès : je
suis certain que bien peu d’enseignants, dont vous même, ont vécu ne serait-ce
qu’une seule journée au sein d’un service d’enseignement et de recherche en
sciences de l’éducation. Contrairement à votre ouvrage qui n’offre que peu de
perspective en dehors d’un « laissez-nous faire tranquille et ne vous
occupez pas de l’école », je profite, cher Frank Andriat, de cet espace
pour corriger cette lacune culturelle et je vous invite très sérieusement à
passer une journée, ou plus, dans notre « tour d’ivoire » (sans air
conditionné, ce qui n’est pas sans inconvénient au moment où j’écris ces lignes !).
Vous pourrez ainsi continuer à détester ce que nous faisons - plus que ce que
nous sommes (je l’espère) - en substituant, cette fois, les arguments aux noms d’oiseaux qui peuvent aussi blesser
des extraterrestres, sans pour autant changer la courses des planètes.
Marc Demeuse
Professeur en Sciences de l’Education
Université de Mons
[1] Deux
textes permettent, je pense, de mieux comprendre ce que nous faisons, entre
autres choses. Vous y trouverez quelques arguments pour mieux nous
détester :
Aubert-Lotarski, A., Demeuse,
M., Derobertmasure, A., Friant, N. (2007). Conseiller le politique: des
évaluations commanditées à la prospective en éducation, Les Dossiers des Sciences de l'Education, 18, 121-130.
Demeuse, M., Soetewey,S. (2013). Recherche en
éducation et évolution du système éducatif belge francophone, in J.F. Marcel et
H. Savy. Evaluons, évoluons. L'enseignement
agricole en action. Dijon : Educagri éditions.
[2] Pour
vous convaincre, peut-être, que les extraterrestres vivent sur la même planète
que vous (mais si je comprends bien, c’est précisément ce que vous regrettez),
vous lirez peut-être le petit texte suivant. Il présente quelques tentatives
pédagogiques dans mon contexte universitaire: Demeuse, M., Derobertmasure, A.
(2012). Et si Eurydice visitait Poudlard... ou comment un petit détour par le
féérique permet de mieux comprendre le réel, Caractères, 43, pp. 36-47. http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/77/12/45/PDF/Et_si_Eurydice_visitait_Poudlard_2.pdf
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